Fin 1990, travaillant comme photographe de plateau pour le théâtre Garonne à Toulouse, j’ai eu le privilège de pouvoir assister aux répétitions de « Aujourd’hui c’est mon anniversaire », le dernier spectacle de Tadeuz Kantor (1915-1990).
La photographie de théâtre porte en elle la frustration de ne pouvoir agir ni sur la lumière ni sur l’action, il ne reste que le cadrage.
Ces images et installations autour de Tadeuz Kantor et du théâtre Cricot 2 sont toutes fausses, fabriquées, résultent d’assemblages divers, d’instants de théâtre, de fragments de vie et donc de souvenirs qui n’étaient pas à priori faits pour se rencontrer.
A l’époque, utilisant déjà des logiciels de retouche, je n’avais pas envie de tricher, dans le théâtre souvent tout ne tient qu’à un fil, à une fragile mais précise alchimie.
Les négatifs originaux ont été retravaillés par des techniques mixtes manuelles et irréversibles (colles avec solvant, les cendres de mes cigarettes, bouts de ruban adhésif…).
Les installations utilisent des matériaux (tiroirs, morceaux de mobilier, lampes, fenêtres…) qui ont servi l’homme, si ce n’est que pour regarder à l’extérieur de la «pauvre chambre d’imagination» et qui un jour ont été abandonnés.
En 2015, à l’occasion de cet anniversaire, je me suis replongé dans cet univers qui m’avait marqué et qui a sans doute influencé une part de ma démarche actuelle et ma façon d’aborder le théâtre qui fait maintenant partie de ma vie.
Parce que je n’aime pas les exercices de style, les hommages et autres commémorations, cette exposition est peut-être un clin d’oeil à un obstiné au regard perçant, à l’un des grands créateurs du vingtième siècle.
A LA FRONTIERE
A la lisière,
De toutes nos vies
Pourrissent des tonnes de non-dits
Parce que des messieurs sérieux…
Pouvoirs, minuscules,
Palaces et poussières,
Mi-progrès, mirador et mirabilis,
Des gens mis à mal,
Des amis disparus,
Les différents mis à l'écart,
Des amants mis à nu,
Jetés dans des chambres,
Sans un lit, sans un bruit.
A la frontière,
De toutes les guerres
Fleurissent des tonnes de cimetières
Parce qu'un maréchal si vieux…
Boûtons d'or, ridicules,
Parterres et monuments,
Mi-pensée, mitraille et mimosa,
Des amours mis à mort,
Meurtris hier,
Et toujours pour rien,
Des enfants mis en bière,
Rangés dans des trains,
Sans un mot, sans une voix.
A la limite,
De tout oublier,
C'est si facile, c'est si facile,
Parce que des oiseaux joyeux…
Mésanges, mensonges et pinçons !
Mais demain pour certains,
C'est déjà un peu hier,
Le fossoyeur apporte le bonheur
Quand il arrache à la terre
Les fleurs de son jardin,
La pauvre fille misère,
Elle l'attend en vain,
Sans un pleur, le printemps.
Claquez
Les paupières,
La mémoire mise en berne,
Repliez les bannières,
Avant que ce théâtre
Ne devienne réalité.
Dans la classe où tout dort,
En vérité le cheval d'enfer
A déjà basculé…
Bruno Wagner 1999
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